Couleurs

🇨🇵 80ème anniversaire de la libération de Marnay…

Article du 9 Septembre 2024

▶️ Épisode I

Il y a aura cinquante ans (la lettre date de 1994) au mois d’avril, votre village accueillait un groupe d’enfants de la région parisienne. Leurs parents ne pouvaient plus garantir leur sécurité à cause des bombardements de plus en plus fréquents. Les mesures de rationnement étaient telles qu’ils n’avaient même plus de quoi les nourrir. Alors après beaucoup d’hésitations, ils s’étaient résignés à les confier à la Croix-Rouge.

J’étais parmi ces enfants avec mon frère et mes trois sœurs.

Je nous revois encore, au milieu de la salle du conseil de la mairie, notre petit baluchon au bout du bras. Tout autour de nous des gens discutaient. Ils avaient un accent bizarre et certains, même, utilisaient un vocabulaire étrange avec des mots que nous ne comprenions pas. Ils semblaient nous jauger, évaluer une marchandise, peser le pour et le contre, hésitant entre l’un et l’autre. Que pouvaient-ils attendre de nous, malingres et rachitiques ? Nous représentions plutôt un fardeau et des soucis supplémentaires. Ils en étaient conscients sans doute mais ils venaient quand même nous accueillir.

Leur discussion n’avait en fait qu’un objet : nous repartir de la manière la plus logique et la plus humaine possible. Nous, les Rancilhac, étions regroupés autour de notre grande sœur, Christiane. Elle avait quatorze ans et serrait très fort la main de Michèle, la plus petite, tout juste âgée de six ans.

La répartition se fit enfin. Je ne me rappelle que très vaguement des autres enfants mais en ce qui nous concerne : Michèle fut confiée à un couple de retraités, Madame et Monsieur Verpillet. Ils habitaient un pavillon près du château d’eau route de Marnay la Ville. Marie-Thérèse dix ans, ma sœur jumelle, alla chez Madame et Monsieur Chapuis dans la même rue et à quelques maisons de Christiane qui fût recueillie par la famille Rietmann à la laiterie. Quant à mon frère Pierre, douze ans, et moi-même nous nous retrouvâmes réciproquement dans les familles Vienney et Minary dont les demeures se faisaient face. Il nous suffira de traverser la rue pour nous retrouver.

( à suivre….)

▶️ Épisode II

Je me souviens comme si c’était hier de mon premier repas chez Madame et Monsieur Minary et de la tranche de pain qui restait près de mon assiette à la fin du repas. Je la fourrai dans ma poche en pensant qu’une pareille aubaine ne se retrouverait pas de sitôt. C’était un vrai repas de fête. La preuve : il y avait du poulet ! Chez nous, à cette époque, la volaille était un mets de luxe réservé aux grandes occasions. Je me souvenais en avoir mangé une fois, pour la première communion de mon frère un an auparavant. Donc, il fallait en profiter et je me gavais sous l’œil attendri de Madame Minary. J’avoue que je calais devant sa cancoillotte. Et pourtant, quel régal ! Rien que d’y penser, l’eau m’en vient à la bouche. Je n’ai jamais retrouvé ce goût si particulier, cette saveur.

Bref, je terminai avec peine ce repas, rassasié pour la première fois depuis bien longtemps. Je m’écroulai de fatigue, car nous étions partis de Paris très tôt la veille. Notre voyage avait été mouvementé en raison des bombardements sur la voie. Notre train, stoppé plusieurs fois dans la journée, s’était immobilisé définitivement je ne sais plus trop où et le soir, nous avions couché à Dôle avant de poursuivre le lendemain matin en autocar.

Une journée et demie pour venir de Paris, nous pouvions être fatigués !

C’est Henriette qui m’installa dans la chambre que je partagerais avec Paul, son frère, jusqu’à son départ pour le maquis. Après une bonne sieste, elle m’emmena faire le tour du village. Elle me montra aussi la grange, l’écurie avec le cheval, l’étable. Ensuite, nous sommes allés chercher les vaches puis j’eus droit à mon premier verre de lait, mousseux, crémeux, tout chaud sorti du pis.

Durant tout mon sĂ©jour, Henriette a jouĂ© le rĂ´le d’une grande sĹ“ur attentionnĂ©e et d’une infinie gentillesse. Elle m’aidait Ă  faire mes devoirs, mais surtout me consolait si j’avais de la peine ou quand le père Minary prenait sa grosse voix parce que j’avais fait une bĂŞtise. C’est vers elle que je me tournais quand j’avais le moindre problème. J’en garde le souvenir d’une jeune fille vive, sensible, et d’une grande tolĂ©rance.

Ma nouvelle vie s’organisa au sein de la famille. Je découvris la campagne et ses travaux en accompagnant Monsieur ou Madame Minary aux champs. Je ne leur étais d’aucune utilité, car bien trop jeune, mais ils s’encombraient de moi quand même. J’allais aussi garder les vaches dans les prés communaux, après les ponts ou sur la route de Burgille. Quand je dis que je gardais les vaches, c’est un euphémisme et on peut se demander qui gardait l’autre. En fait, elles se gardaient toutes seules et nous, car nous étions toute une bande, nous nous amusions à construire des cabanes ou à piquer une tête dans l’Ognon.

J’ai passĂ© aussi beaucoup de temps près de Paul, dans son atelier. Avec son aide, je me fabriquais des jouets faits de chutes de bois et de clous que je rĂ©cupĂ©rais dans les copeaux. Le soir, quand il faisait beau, il m’emmenait en promenade sur sa pĂ©rissoire qu’il avait baptisĂ©e « le Sioux ». Ă€ l’avant, il avait fixĂ© une tĂŞte de chef indien taillĂ©e dans du bois. Parfois, je trouvais sur mon lit une friandise : bonbon ou biscuit, denrĂ©es rares Ă  l’époque. Quand il s’installait dans la chambre pour jouer de l’accordĂ©on, je restais l’écouter. Souvent, il jouait la Marseillaise, alors sa mère lui criait dans l’escalier de pousser la fenĂŞtre et de jouer moins fort… »

(Ă  suivre…)

📸Photos : la maison des Minary / l’écurie et la grange / les prés communaux aux bout des pont